La nuit à Paris, c’est nul.
Voilà ce que je pense. Depuis toujours, lorsque je regarde par la fenêtre de ma chambre alors que le soleil s’est couché depuis longtemps déjà, je dis : « La nuit à Paris, c’est nul ». Maman souriait en voyant ma moue dépitée. « Oui, c’est vrai… » m’approuvait-elle d’un ton léger. C’était la seule qui disait que j’avais raison. Elle était la seule à comprendre. Les autres, les humains, ils me regardent avec un air surpris. Nul ? La nuit à Paris ? Pourquoi donc ? Pourtant, c’est très joli. Les lumières illuminent la ville de mille feux. C’est agréable de se promener au bord de la Seine et de regarder les reflets des réverbères scintiller sur l’eau telles des étoiles. Et puis, pourquoi est-ce que je critique, moi, tout d’un coup ? C’est vrai que c’est pas mon genre du tout ! Ils comprennent rien… Voilà pourquoi je n’aime pas la nuit à Paris. Les gens ont les yeux rivés que sur leur ville chérie, la plus belle capitale du monde, première destination touristique mondiale. Mais le ciel, ils ne le regardent pas. Jamais la nuit. C’est compréhensible après tout… Il est noir, alors quel intérêt ? En effet, quel intérêt… Et c’est pour ça que la nuit à Paris, c’est nulle. Paris est trop lumineux. Ses lumières en cachent d’autres plus belles encore. Des lumières que tout le monde est censé voir pourtant… Celles des étoiles. Pas d’étoiles à Paris. Juste celles des reflets des réverbères sur la Seine… Ma mère avait compris. Elle ressentait la même chose que moi. Mais elle souriait quand même, parce qu’elle ajoutait après : « Mais même si on ne les voit pas, elles sont là. » Son sourire, sa voix légère, c’était sans doute tout ça qui faisait que, finalement, je souriais aussi.


Un dragon vole dans le ciel étoilé, majestueux avec ses longues ailes d’un blanc nacré, ses écailles luisant sous le reflet de la lune. Ses yeux aux pupilles fendus brillent dans la nuit, comme deux rubis flamboyants. J’ai l’impression qu’il nage au milieu des étoiles. C’est magnifique, sublime, comme dans un rêve… Ça doit être agréable de voler, sentir le vent sur nos ailes étendues, pouvoir être plus près, toujours plus près des étoiles… Je l’envie, observe simplement avec jalousie. Est-ce que j’arriverai un jour à faire couvrir mon corps d’écailles ? Est-ce que je pourrai, comme lui, effleurer du bout de mes ailes les étoiles ? Je ne sais pas… Beaucoup d’entre nous ne peuvent pas le faire, alors il est très possible que moi non plus. Mais lui, lui peut le faire. Il pourrait peut-être m’apprendre ? Avec grâce, il se pose sur terre, près d’un lac où se reflète la lune. Ses écailles tombent comme un nuage de feuilles mortes, et alors que les feuilles disparaissent, balayées par le vent, une silhouette en costume noir, son éternelle montre au poignet, m’observe avec indifférence. C’est là que vient le moment de doute. C’était trop beau, trop irréaliste. Cette personne qui est apparue, qui me regarde avec un telle indifférence que s’en est effrayant, ne peut pas être un de ceux qui peut. Mes doutes se confirment lorsqu’un bruit lointain résonne dans tout le paysage. Un Bip ! Bip ! Bip ! incessant est censé m’extirper de mon sommeil…



Il s’appelait Benjamin Lemaitre, et c’était mon père. Je ne le voyais pas souvent. Il habitait dans un autre quartier à Paris. En fait, je ne savais pas grand-chose de lui. Parfois, il venait nous voir, maman et moi. Il m’apportait de superbes cadeaux. Je crois qu’il était riche, à cause de son costume sur mesure et de sa montre dorée. Il n’était pas marié avec maman, malgré tout, je voyais qu’il l’aimait. Il restait pour la nuit, et le lendemain, il repartait. Maman avait toujours ce regard amer et triste à la fois quand il s’en allait. Je n’aimais pas la voir comme ça, et je n’aimais pas cet homme qui rendait ma mère si triste. De plus, à ma naissance, il ne m’avait pas reconnue comme étant son enfant. Ma mère m’a dit qu’il y avait une raison à cela, que c’était à cause des Lames. Elle ne m’avait pas expliqué ce que c’était les Lames, mais j’avais deviné que c’était quelque chose de dangereux, une menace bien réelle.
Un jour, j’ai dit à ma mère que je n’aimais pas ce Benjamin Lemaitre. A chaque fois qu’il était là, je me forçais à l’appeler papa alors que j’avais l’impression qu’il était un total étranger pour moi. J’étais à moitié en train d’hurler. « Pourquoi est-ce qu’il ne reste jamais ? Vous vous aimez, non ? Pourquoi vous vous mariez pas ? Il part toujours comme si rien n’était alors que toi, maman, t’es triste ! Il nous laisse complètement de côté comme si on était rien du tout ! Et lui, il a son costume sur mesure et sa montre en or ! Et nous alors ? Qu’est-ce qu’on est ? Si ça se trouve, il a déjà une femme ! »
J’étais vraiment énervée ce jour-là. J’avais 9 ans, et j’en pouvais plus de garder tout ça pour moi. Alors voilà, tout est sorti d’un coup, sans que j’arrive à me contrôler. Ma mère m’a regardée avec des yeux ronds, sans doute surprise de me voir exploser comme ça, de dire de telles choses, alors qu’habituellement, je suis plutôt heureuse de vivre. Pourtant, elle n’avait pas l’air triste, ni en colère. Elle était juste surprise. Puis elle m’a souri. Je ne comprenais pas comment elle pouvait encore sourire. Ça m’a énervée. Et, bizarrement, je me suis mise à pleurer. Parce que je suis comme ça quand je m’énerve ; je pleure. Maman m’a prise dans ses bras, m’a serrée très fort avant de m’expliquer, avec cette voix douce qu’elle utilisait pour me rassurer : « Ce n’est pas aussi simple que ça… On ne peut pas se marier à cause des Lames. Je t’ai déjà expliqué, non ? Pourquoi il ne fallait dire à personne qu’on était des dragons. Les gens ont peur de nous. Et les Lames, ce sont les humains qui nous chassent. Si on se mariait et qu’un jour, l’un de nous se ferait découvrir en tant que dragon, les Lames aurait compris que les deux autres sont des dragons aussi. Alors on préfère ne pas beaucoup se voir, et rester le plus à distance possible. Tu comprends ? »
Je ne pleurais plus maintenant. Alors c’était ça, les Lames ? Des humains qui nous chassent ? Comme du gibier ? Et c’était pour ça que papa n’était pas souvent là ? Ma pensée m’avait surprise. Je l’avais appelé « papa » presque sans m’en rendre compte. C’était plutôt étrange… Pendant que j’essuyais mes joues mouillées, j’ai demandé à maman : « Pourquoi ils ont si peur de nous, les humains ? C’est vrai que dans le temps, on pouvait se transformer, on était dangereux. Mais maintenant, on est plutôt inoffensifs, non ? »
Maman avait eu un sourire amer devant ma naïveté. Elle m’a serrée encore une fois contre elle avant de murmurer dans un soupir : « Pas si inoffensifs que ça, apparemment… » Puis elle a ajouté en desserrant son étreinte : « Et il y a aussi la magie, notre langue ancestrale. Les humains ont peurs de ce qu’ils ne peuvent pas contrôler. C’est la nature humaine. »

C’est drôle, je pense que j’avais pardonné à mon père d’être si absent et de rendre maman si triste. J’avais compris pourquoi il n’était pas souvent là, et pour l’instant, ça me suffisait pour le pardonner. Néanmoins, je ne comprenais toujours pas pourquoi les Lames nous chassent… On ne fait rien de mal, pas vrai ? Et quasiment plus personne ne croit en l’existence des dragons, alors pourquoi ils veulent nous tuer ? J’étais perplexe.


« Au fait, je suis un dragon. »
Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. J’ai balancé ça, comme ça, à Eric, un de mes camarades de classe et meilleur ami. Je l’ai dit comme si quelqu’un d’autre pouvait dire : Au fait, je t’avais dit que je faisais de la danse depuis mardi ? Pourquoi est-ce que je lui ai dit ? Je me le demande… Peut-être parce que je savais d’avance qu’il n’allait pas me prendre au sérieux. Les dragons, ça existe que dans les histoires pour lui après tout…
Il m’a regardé avec un air interrogateur, du genre Qu’est-ce qu’elle raconte encore comme connerie celle-là puis il a regardé ses cartes (on jouait au UNO) pour poser un petit +4. Je fais la grimace en piochant, comme si rien n’était. Apparemment, j’avais raison. Il ne m’a pas prise au sérieux.
« Pour de vrai ? » il me demande. « Ah, et ce sera du jaune pour la couleur. »
Je grimace encore. J’ai qu’une seule carte jaune… Je la pose avec dépit. Néanmoins je réponds à sa question, honnête :
« Ouais, pour de vrai. »
J’ai pas envie de mentir. Maman ferait une crise cardiaque si elle me voyait. Mais bon, c’est trop tard maintenant. Je suis lancée, je ne peux plus m’arrêter. Malgré tout, Eric ne me répond pas. Il est concentré sur le jeu, bien que le UNO ne demande pas trop de concentration… Eric y va toujours à fond lorsqu’il joue. Devant son silence, je demande :
« Ils te font peur, toi, les dragons ? »
Il me regarde encore une fois, surpris cette fois. Puis il pose un +2. Punaise je suis en train de me faire laminer… Quoique… Non, miracle, j’ai deux autres +2 ! J’en pose un rouge en attendant sa réponse.
« Ben… Ce sont des grosses bêtes qui crachent du feu avec d’énormes dents… Y’a de quoi avoir peur… »
Il ne bronche pas en voyant mon +2. Il en pose un autre, jaune encore. Cette fois, il est cuit. Je sors mon deuxième +2 avant de le narguer avec un regard qui dit « +8 mon grand, essaie un peu de gagner maintenant ! » Puis je continue la discussion sur les dragons.
« Non mais je veux dire, si ces dragons ne peuvent plus avoir leur forme reptilienne mais qu’à la place ils gardent forme humaine, tu as toujours peur d’eux ? »
Il fait une moue renfrognée quand il pioche ses cartes puis il me répond d’une voix agacée :
« Alors ce ne sont plus des dragons, mais des humains. Ils feraient pas peur du tout, ce serait pas drôle. »
Je souris. Ben voilà ! On fait pas si peur que ça, nous autres ! Il faut juste montrer aux Lames qu’on peut être gentils, c’est pas compliqué ! Soudain heureuse, c’est avec bonne humeur que finalement, j’accepte ma défaite quand Eric me dit UNO.


Maman pleure. Je ne l’ai jamais vu pleurer. C’est inquiétant, effrayant. Ma mère si forte, si gentille, et si douce, est effondrée sur la table de la salle à manger. Elle sanglote alors que je viens de rentrer de l’école. Lorsque j’ai ouvert la porte, je suis tombée sur sa silhouette affaissée. Elle ne m’a pas remarquée tout de suite, mais lorsqu’elle m’a vue, elle a arrêté tout de suite ses sanglots. Pourtant, c’est trop tard. Je l’ai vu pleurer. En plus, ses yeux sont rougis, ses cils collés, ses joues mouillées. Et il y a ce désespoir dans son regard, un désespoir qui me fige sur place, qui me fait trembler. Je ne suis pas habituée… Ni à la détresse, ni à la tristesse, ni au malheur… Je la regarde fixement, un sentiment qui m’était tout aussi inconnu m’envahissant : la peur. Que s’est-il passé ? Pourquoi pleure-t-elle ? Quel est ce malaise qui m’envahit soudain ?
Maman se lève, s’avance vers moi avec lenteur. Elle a vu mon inquiétude, elle veut me rassurer. Mais ça ne marche pas. Elle est trop affligée, elle n’arrive pas à m’apaiser. Elle me prend dans ses bras pour me dire que « Tout ira bien. », malgré tout, j’ai plutôt l’impression qu’elle s’accroche à moi, comme une bouée de sauvetage. Je me raidis encore plus. Alors il s’est vraiment passé quelque chose… J’essaie de soutenir maman le mieux que je peux, la laisse se blottir au creux de mes bras, puis je la guide avec le plus de douceur possible vers le canapé – bien que je continue à rester raide. On s’assoie toutes les deux. Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire. Maman semble si fragile… J’ai l’impression qu’elle va recommencer à pleurer à tout moment. Je me tortille, mal à l’aise. C’est difficile de voir ma mère que je croyais à toutes épreuves s’effondrer comme ça… Lorsqu’on est enfant, on a besoin d’avoir une image de ses parents forte, une image qui nous indiquerait qu’ils pourront nous protéger. Mais là, comment est-ce qu’elle pourrait me protéger, ma mère ? Elle qui ne semble ne plus savoir ce qu’est le bonheur à ce moment précis…
Je reste silencieuse, j’ai peur de faire une bêtise. J’ose à peine respirer ! Maman a le regard dans le vide. Elle essaie de reprendre du courage sans vraiment y parvenir. Puis elle émet un long et soupir qui me fend le cœur avant de me regarder dans les yeux. « Ton père est mort. » m’explique-t-elle finalement d’un ton lugubre. Et soudain, comme si elle se rendait compte encore une fois de cette affreuse réalité, elle se remet à pleurer. Néanmoins, elle essaie de se retenir. Elle ne veut pas se montrer faible devant moi.
Alors c’était ça la raison de tout ce chagrin ? Mon père est mort ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Est-ce que ce serait à cause des Lames ?
Je n’ai même pas besoin de poser la question. Comme lisant dans mon esprit, maman me répond déjà, d’une voix de plus en plus tremblante. « Ils l’ont trouvé, et ils l’ont tué. Tu vois maintenant comment ils sont dangereux, Alice ? Promets-moi, ma chérie… Promets-moi que tu seras très prudente, que jamais tu ne te feras découvrir ! Je t’en supplie, ma petite fille ! Je ne veux pas que toi aussi tu… »
Elle n’arrive pas à terminer sa phrase, un sanglot la prend soudain. C’est à mon tour de la prendre dans mes bras. Je la serre de toutes mes forces. Vraiment, je déteste la voir comme ça... Au fond de moi, je maudis mon père, je maudis les Lames. C'est de leur faute tout ça, entièrement leur faute. Je murmure, me surprenant à sangloter moi-même : « Maman… C’est promis, maman… Il ne m’arrivera rien. Je te le promets alors arrête de pleurer, ma maman chérie… »


Deux ans sont passés depuis cet événement. J’ai eu 12 ans en avril, et comme je l’avais promis à ma mère, il ne m’est rien arrivé. Je suis même en parfaite santé ! Maman a retrouvé son sourire, sans doute un peu grâce à moi. Je lui ai montré ma bonne humeur, mon optimisme. Elle a dû être infectée ! C’est vrai que, j’étais triste aussi, au début. Le chagrin de ma mère me rendait tout aussi malheureuse qu’elle et il fallait dire que je regrettais d’avoir ne pas avoir connu d’avantage l’homme dont je me forçais à appeler papa. Mais j’ai réfléchis, longuement. Je me suis dit que si les Lames nous détestaient tant, c’est qu’il devait y avoir une raison. Ils n’auraient jamais tué mon père s’il n’y en avait pas une. Néanmoins, je ne disais pas que celle-ci était peut-être une bonne. Il fallait leur montrer que les dragons ne sont plus des bêtes féroces, qu’on pouvait être tout aussi « humains » qu’eux. Forcément, s’ils ont peur de nous, c’est normal qu’ils veuillent nous tuer. On doit leur montrer qu’ils ne doivent pas avoir peur. Et c’est l’objectif que je me suis fixé. Si un jour, je rencontre une Lame, je lui montrerai que je suis loin d’être méchante, et que beaucoup de mon espèce sont comme moi.

C’est vrai que malgré tout, je leur en veux quand même un petit peu, aux Lames tout comme à mon père. C’est à cause d’eux que ma mère est triste. Même si elle a retrouvé le sourire, elle n’est plus aussi joyeuse qu’avant. Il reste une lueur mélancolique dans son regard, ainsi qu’un tout petit brin de tristesse. La nuit, lorsque le ciel est noir à Paris, et que je dis en regardant par la fenêtre : « La nuit à Paris, c’est nul. », elle ne me sourit même plus, ne me répond pas non plus. Elle est indifférente, plongée dans ses sombres pensées. Et sa phrase qui me faisait sourire, avec ce ton si léger, qui me disait que même si on ne les voyait pas, les étoiles était toujours là, je ne l’ai plus jamais entendue.

Derrière le visage de ce personnage passionnant se cache Emily, mais le plus souvent, on la connais sous le nom de Mimoon, c'est comme un nom de code, vous comprenez sans doute. Cette charmante personne a 15 ans. Elle a lu le règlement, la preuve en est qu'elle en connait le code qui est « A la mémoire de nos ancêtres ». Enfin, elle a tenu à ce que nous vous délivrions ce message : Miss patategirl, c’est MOI !!! *^*

Une très jolie fiche ! Très émouvante ! Et très bien par rapport au contexte ! Bravo !

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